Nr. 65/2004
Mention des sources / Statistiques

(X. / Y. c. «Le Temps») Prise de position du Conseil suisse de la presse du 31 décembre 2004

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I. En Fait

A. Le 7 juin 2004, «Le Temps» à publié sous la rubrique «Suisse» un article intitulé «Aucun des cantons romands ne parviendrait à respecter les critères de Maastricht» signé par Florencio Artigot et Yelmarc Roulet. L’article fait une comparaison de l’endettement public par rapport au revenu – un des «célèbres critères de Maastricht» – entre les cantons suisses et les pays de l’union européenne. Dans leur analyse les auteurs viennent à la conclusion que des cantons romands seul le canton Fribourg (60.6%) respecte pratiquement la limite du ratio entre l’endettement et le revenu d’un Etat fixé à 60%. Selon l’article, le Canton de Genève (107.9%) apparaît non seulement au plus mauvais rang à l’échelle suisse, mais aussi à l’échelle d’une Union européenne élargi a 25 derrière la Grèce et l’Italie.

B. Le 21 juin 2004, X. et Y. se sont adressés au Conseil suisse de la presse pour se plaindre de l’article susmentionné. Les auteurs de l’article n’auraient pas indiqué les sources des chiffres employés et n’auraient pas non plus relevé la différence fondamentale entre les deux indicateurs, PIB (Produit intérieur brut) et revenu cantonal, ni l’année de référence pour les indicateurs proposés. Finalement, sur la base des chiffres officiels disponibles, le ratio entre dette publique et revenu cantonal du canton de Genève pour l’année 2001 serait de 44.32% et non pas de 107.9% comme indiqué dans l’article. Dans ce contexte, les plaignants allèguent une violation des directives 3.1 (mention des sources), 3.7 (sondages), 2.3 (séparation entre information et commentaire) et 5.1 (rectification) relatives à la «Déclaration des devoirs et des droits du / de la journaliste».

C. Dans une prise de position datée du 9 juillet 2004 Sylvie Arsever, rédactrice en chef adjointe du «Temps», soutient que la plainte doit être rejetée. Les plaignants se réfèreraient vraisemblablement à la version de l’article diffusée sur le site internet du journal. «Dans la version papier, cet article était accompagné d’un encadré technique expliquant comment les chiffres figurant dans l’article principal avaient été établis et d’un graphique où figurait la mention des sources utilisées. (…) La différence entre revenu cantonal et produit intérieur brut est précisée dans l’encadré technique, de même que la façon dont est calculée la dette cantonale prise en compte.» En outre «les informations réclamées par les plaignants leur étaient accessibles s’ils avaient utilisées toutes les ressources de notre site web. (…) Le calcul des dettes cantonales réelles mentionnées dans l’article n’a rien de fantaisiste. Il a été établi en collaboration avec l’administration fédérale des Finances.»

D. Conformément à l’art.10 al. 7 du règlement du Conseil suisse de la presse, la présidence peut se prononcer définitivement sur des plaintes qui, dans leurs traits essentiels, concordent avec des cas déjà traités par le Conseil de la presse ou qui de toute façon paraissent d’une importance mineure.

E. La présidence du Conseil suisse de la presse composée par Peter Studer (président), et Esther Diener-Morscher (vice-présidente) a liquidé la présente prise de position le 31 décembre 2004 par voie de correspondance. Sylvie Arsever, vice-présidente et rédactrice en chef adjointe du «Temps», s’est récusée.

II. Considérants

1. D’abord le Conseil suisse de la presse examine si une distinction dans l’analyse déontologique entre la version imprimée de l’article contesté et la version internet s’impose. De la page imprimée reprise du site web www.letemps.ch le 2 juillet 2004 – fournie au Conseil par «le Temps» – il ressort qu’au moins à ce moment des «documents liés» à cet article étaient accessibles pour les utilisateurs de ce site. Du devoir éthique de ne pas supprimer des éléments d’information essentiels, on ne peut pas déduire une obligation des journalistes de présenter des informations supplémentaires à un article ou des éléments d’information qui mentionnent les sources impérativement sur la même page d’un média que l’article principal. Cela vaut d’autant plus si cette information additionnelle est annoncée sur la même page du site web que l’article principal et si elle est combiné avec un lien électronique. Dès lors, le Conseil se bornera à examiner si l’article principal avec le graphique et l’encadré, vu dans sa totalité, contenait les indications minimales demandés par le chiffre 3 de la «Déclaration».

2. a) Selon la directive 3.1 relative à la «Déclaration» (traitement des sources), «la mention de la source est en principe souhaitable dans l’intérêt du public (…) Celle-ci doit être mentionnée chaque fois qu’elle constitue un élément important de l’information. En plus, la directive 3.7 (Sondages) exige que «lors de la publication des résultats d’un sondage, les médias doivent donner au public toutes les indications utiles à la compréhension de ces résultats. Les indications minimales sont: le nombre de personnes interrogées, la représentativité, le terrain et la période de réalisation de l’enquête, le commanditaire. Le texte doit en outre restituer les questions concrètes de manière correcte quant à leur contenu.»

b) Certes, dans le cas concret il ne s’agit pas de la publication d’un sondage. Néanmoins du point du vue du public lors de la publication d’une statistique, il est tout de même indispensable que le lectorat soit mis en situation de comprendre l’analyse de base au moins dans les grandes lignes. Dans cette mesure, l’indication de la source et de la période de temps de référence des chiffres, ainsi que de la méthode et des critères utilisés, est en règle indispensable pour la compréhension du public.

c) Dans l’encadré «Comment calcule-t-on le poids de la dette d’un canton?», Florencio Artigot explique d’une manière différenciée que «l’application des critères de Maastricht à la Suisse pose certains problèmes, en raison des trois niveaux de collectivités publiques et de lacunes statistiques pour cerner le produit intérieur brut (PIB) des cantons. Le revenu cantonal, l’indicateur macro-économique le plus proche dont on dispose, n’offre pas le même niveau de fiabilité. Si l’on prend le cas de Genève, la dernière estimation du revenu cantonal total s’élève à 20.76 milliards de francs. Cette donnée connue, on calcule le PIB en passant d’un concept dit Ðnationalð à celui d’intérieur. (…) En ce qui concerne le poids de la dette, l’Administration fédérale des finances (AFF) calcule en tenant compte des trois collectivités publiques (…) ÐLa part de la population cantonale est la meilleure clé de répartition pour distribuer la dette fédérale entre les cantonsð, explique Pierre Chardonnens, économiste à l’AFF. La part genevoise de la dette fédérale est estimée à 7,2 milliard pour 2003.» Sous l’encadré et le graphique l’article indique les sources suivantes: «Eurostat / Administration fédérale des finances / OFS».

d) Au vu de ces explications détaillées fournies avec l’article contesté, le Conseil constate que «Le Temps» a largement rempli les conditions de la directive 3.1 et, par analogie, de la directive 3.7, sous réserve d’un seul aspect. Celui de l’indication de la période de temps de référence des chiffres utilisés dans l’analyse.

3. a) Les plaignants font valoir que l’estimation (provisoire) la plus récente du revenu cantonal genevois date de 2001 (20’763 millions) et que le montant de la dette publique brute du canton de Genève pour 2001 serait de 9204 millions de francs. Sur la base de ces chiffres, le ratio de la dette publique sur le revenu cantonal se monterait à environ 44.32%.

b) Concernant le revenu cantonal, l’encadré de l’article contesté mentionne également que «dans les cas de G
enève, la dernière estimation du revenu cantonal total s’élève à 20.76 milliards». En revanche, il ressort des observations de la rédaction sur la plainte que l’année de référence pour le chiffre de l’endettement n’est pas 2001 mais 2003. «C’est bien le poids de cette dernière qu’il s’agissait d’évaluer et non pas celui de l’endettement 2001. La référer au revenu 2001 posait certes un problème mais il s’agissait du seul chiffre disponible et, compte tenu de l’évolution générale de l’économie dans ces années, il est peu vraisemblable que le revenue 2003 était très supérieur à celui de 2001. (…) Pour fixer les dettes des cantons en 2003, les auteurs de l’article ont pris en compte non seulement la dette publique brute de chaque canton mais également celles de communes et une quote-part fixée par l’Administration fédérale des finances de la dette de la Confédération. Cette façon de faire permet une meilleure comparaison avec un Etat qui assume l’ensemble des dépenses liées à sa population. Elle explique que l’article arrive à un ratio d’endettement fort différent de celui établi par les plaignants sur la base de la seule dette publique brute.»

c) Même si ses explications de la méthode utilisée et de la différence entre le point de vue des auteurs de l’article et des plaignants semblent convaincantes, il aurait été au moins souhaitable que l’encadré mentionne l’année 2001 comme période de référence pour le revenu cantonal et que l’estimation globale des dettes des communes genevoises, du canton et de la quote part genevoise de la dette fédérale se réfère à l’année 2003. Dans la mesure où l’article indique que le chiffre pour le revenu cantonal genevois de 20.76 milliards vient de «la dernière estimation», que «l’endettement de la Suisse en 2003 correspond à la dette fédérale (125 milliards, cumulés à l’ensemble des dettes des cantons (63.6 milliards) et des communes (39.1 milliards) et que «la part genevoise de la dette fédérale est estimée à 7.2 milliards pour 2003», le «Temps» n’a pas violé le chiffre 3 de la «Déclaration» sur cet aspect. En conséquence, la violation alléguée du chiffre 5 de la «Déclaration» (rectification des chiffres inexacts) devient sans objet.

4. De même, il ne peut être question d’une violation de la directive 2.3 (distinction entre l’information et les appréciations). Comme l’expliquent ces considérants sous chiffre 1, le lectorat du «Temps» était tout à fait en mesure de comprendre les grandes lignes de l’analyse présentée et de se former sa propre opinion.

III. Conclusions

1. La plainte est rejetée.

2. Par analogie à la publication d’un sondage, lors de la publication d’un statistique il est indispensable que le lectorat soit mis en situation de comprendre l’analyse au moins dans les grandes lignes. Dès lors l’indication de la source et de la période de temps de référence des chiffres ainsi que de la méthode et des critères utilisés est par principe indispensable.

3. Dans le cas concret, la mention explicite de l’année 2001 comme période de temps de référence pour le revenu cantonal et de l’année 2003 pour l’estimation globale des dettes des communes genevoises, du canton et de la quote part genevoise de la dette fédérale aurait été au moins souhaitable. Toutefois, dans la mesure où l’article indiquait que le chiffre pour le revenu cantonal venait de «la dernière estimation» et mentionnait l’endettement de la Suisse en 2003, le «Temps» n’a pas violé le chiffre 3 de la «Déclaration» sur cet aspect.