Nr. 26/2004
Liberté du commentaire

(«Agri» c. «l'Hebdo») Prise de position du Conseil suisse de la presse du 16 juin 2004

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I. En fait

A. Le 6 novembre 2003 «l’Hebdo» à publié sous la rubrique «opinion» une «lettre ouverte à Fernand Cuche», signée par Charles Poncet. Dans cette lettre l’auteur écrit entre autre: «Loin d’offrir aujourd’hui aux pupilles affamés de l’Helvétie une gorge nourricière et salvatrice, l’agriculture suisse n’est plus qu’une vielle catin ridée (…) L’agriculture suisse n’est d’aucune utilité à nos concitoyens (…) Sa productivité est le dixième de celle des autres secteurs de l’économie. Incapable de travailler au juste prix, elle vit de subsides, contraignant le consommateur à payer son pain, son lait, sa viande, son grain et ses légumes trois fois plus cher en raison de mécanismes de protection tarifaire qui la maintiennent sous perfusion pour livrer à un public captif des produits dont il ne veut pas. L’agriculture suisse pollue (…). L’agriculture suisse gaspille la terre (…) En un mot, Monsieur le Conseiller national, vos adeptes ne servent à rien. Ils vivent aux crochets de leur compatriotes et leurs éternels glapissements pleurnichards confinent à l’obscénité. (…) Ne vous mettez cependant pas martel en tête : grâce à vos complices de l’UDC, vous pourrez encore longtemps pomper à loisir dans nos porte-monnaie et lutter contre le progrès sous toutes ses formes.»

B. Le 13 novembre 2003, Claude Cartier, directeur-rédacteur en chef de l’«Agri» (Hebdomadaire professionnel agricole de la Suisse romande), s’est adressé au Conseil suisse de la presse pour se plaindre de ce que l’article de Charles Poncet injurierait grossièrement un corps de métier, inciterait à la haine et au mépris et donnerait des fausses informations (chiffres 1, 8 et le principe de l’équité de la «Déclaration des devoirs et des droits du / de la journaliste»). Le plaignant s’en prend notamment aux passages suivants: «l’agriculture suisse n’est qu’un catin ridée»; «Les paysans vivent aux crochets de leurs compatriotes et leurs éternels glapissements pleurnichards confinent à l’obscénité»; «vos complices de l’UDC». En plus, Claude Cartier se plaint de ce que «l’ensemble de l’article est rédigé sur un ton humiliant, injurieux, très partial dans son information».

C. Dans une prise de position datée du 22 décembre 2003 Alain Jeannet, rédacteur en chef de «l’Hebdo», soutient que la plainte est dénuée de fondement. Il fait valoir qu’un article polémique et partisan, tel que celui de Charles Poncet, «ne saurait être en tant que tel contraire à la ÐDéclaration?». Il contestait que le texte «injurie grossièrement un corps de métier», ou «incite à la haine et au mépris».

D. Conformément à l’art. 10 al. 7 du règlement du Conseil suisse de la presse, la présidence peut se prononcer définitivement sur des plaintes qui, dans leurs traits essentiels, concordent avec des cas déjà traités par le Conseil de la presse ou qui de toute façon paraissent d’une importance mineure.

E. La présidence du Conseil suisse de la presse composée par Peter Studer (président), Sylvie Arsever et Esther Diener-Morscher (vice-présidentes) a liquidé la présente prise de position le 16 juin 2004 par voie de correspondance.

II. Considérants

1. De manière constante, le Conseil suisse de la presse a souligné l’importance de la liberté du commentaire, précisant qu’«il doit jouir d’une large liberté quant au ton adopté» (prise de position 4/92, Sch. c. «L’Impartial»). La liberté de commenter n’est toutefois pas sans limite. Les journalistes doivent respecter la sphère privée sans intérêt public prépondérant et ont l’obligation de ne faire état que de faits vérifiés. En outre, dans un avis du 20 février 1998 (S. c. NZZ, 3/98), le Conseil de la Presse a relevé: «Les avis exprimés dans un commentaire doivent faire preuve d’un certain degré de correction (Ðfairness?) quand on y évalue des personnes, respectivement leurs capacités. Un commentaire ne peut remplir son rôle d’éclairage du public que dans la mesure où ce dernier connaît les faits qui justifient l’opinion exprimée.» Finalement, il est déterminant que l’appréciation sur laquelle repose le commentaire soit reconnaissable pour le public et que de surcroît ce commentaire ne se fonde pas sur des allégation non avérées, manifestement inconvenantes et dépréciatives (16/99, 2/00).

2. En l’occurrence le caractère polémique du texte de Charles Poncet est sans autre reconnaissable comme tel. Le lecteur est en mesure de faire la distinction entre l’information proprement dite et les jugements de valeur, certes extrêmement virulents. Dans sa prise de position 51/2002 le Conseil a constaté qu’au nom de la liberté de commenter, un pamphlet même blessant à l’encontre de magistrats ou d’un groupe de magistrats est admissible. Cela vaut également pour un commentaire pamphlétaire à l’encontre d’une branche ou d’un secteur de l’économie. Dès lors il n’est ni injurieux ni discriminatoire de critiquer très partialement et même avec des termes hostiles la régulation actuelle de l’agriculture en suisse, si le public connaît les faits sur lesquels le commentaire se base est s’il est donc est en mesure de se former sa propre opinion.

3. En outre, il est admissible – dans le contexte de l’article contesté – d’écrire de «vos complices de l’UDC». Car il ressort clairement du texte, que le terme «complice» ne se réfère pas à une collaboration délictueuse entre «Fernand Cuche, paysan et conseiller national Verts» et l’UDC, mais plutôt à une convergence générale d’intérêts – aux moins selon l’avis de M. Poncet – en matière de politique agricole suisse.

III. Conclusion

La plainte est rejetée.