Nr. 13/1998
Journalisme et engagement politique

(Quatre membres du comité de l’Association fribourgeoise des journalistes c. de Diesbach, Angéloz, Rüf et Ayer) Prise de position du Conseil de la presse du 2 septembre 1998

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I. En fait

A. Le 12 février 1998, quatre membres du comité de l’Association fribourgeoise des journalistes (AFJ) – MM. Sébastien Julan, Christoph Nussbaumer, Nicolas Repond et Christophe Schaller – demandent au Conseil de la presse un avis sur le rôle joué par quatre journalistes du canton dans l’affaire dite Cardinal. Les personnes concernées sont MM. Roger de Diesbach, rédacteur en chef de La Liberté“, Antoine Rüf, rédacteur à „La Liberté“, Jean-Marc-Angéloz, rédacteur en chef et directeur de „L’Objectif“, et Claude Ayer, rédacteur au „Nouveau Quotidien“. Les quatre membres du comité de l’AFJ se demandent si leurs confrères n’ont pas contrevenu à la Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste en raison de leur engagement non seulement journalistique, mais aussi personnel en faveur du maintien de Cardinal, menacée à la suite de la décision prise le 29 octobre 1996 par le groupe Feldschlösschen-Hürlimann Holding (FHH) de fermer la brasserie fribourgeoise. Ils se réfèrent à la prise de position no 7/96 du 7 novembre 1996 sur le mélange d’activité politique et de journalisme.

B. Les quatre membres du comité de l’AFJ signalent que M. Roger de Diesbach a siégé dans un groupe de travail constitué par les autorités fribourgeoises en vue de les conseiller dans cette affaire; la participation de M. de Diesbach à ce groupe de travail, dont la composition était restée confidentielle, a fait l’objet d’un dépêche détaillée de l’Agence télégraphique suisse (ATS) du 7 mai 1997, jointe au dossier. Quant aux trois autres journalistes, c’est leur participation active à l’animation et aux activités de „Point Cardinal“ qui est en cause; cette association de soutien à la brasserie s’est publiquement battue pour le maintien des activités de Cardinal à Fribourg.

C. Dans sa réponse au Conseil de la presse du 23 avril 1998, M. de Diesbach affirme que sa participation au groupe de travail constitué par les autorités était due au fait que son ancienne agence de presse spécialisée dans la recherche d’information (BRRI) avait attentivement suivi l’évolution du dossier Cardinal et publié des informations en exclusivité. Il affirme que sa participation ne lui a donné „aucun privilège“, et „sûrement pas l’accès à des informations privilégiées“. Il ajoute que cette commission n’a jamais été informée du contenu des négociations débutant entre Feldschlösschen et les autorités fribourgeoises. Il écrit avoir toujours affirmé haut et fort devant cette commission que sa participation ne limiterait en aucun cas son indépendance professionnelle ou l’expression de ses opinions. Il déclare n’avoir accepté aucune consigne, directe ou indirecte, ni aucune directive de la part de cette commission. Enfin, M. de Diesbach écrit que s’il n’a jamais parlé de sa participation à cette commission aux lecteurs de „La Liberté“, c’est que ce groupe de travail n’avait en réalité aucune importance, comme l’attesterait le fait que le conseiller d’Etat fribourgeois chargé de l’économie, M. Michel Pittet, n’y a siégé qu’une seule fois.

D. Dans sa réponse du 11 mars 1998, M. Antoine Rüf, rédacteur à „La Liberté“, reconnaît avoir participé comme délégué de son journal à „Point Cardinal“, avec une fréquence variable et une assiduité moyenne. Il a couvert certaines activités de „Point Cardinal“. Il considère qu’il a accompli ce travail dans le respect des principes déontologiques, sans laisser son engagement au sein de l’association prendre le pas sur le détachement journalistique.

E. Dans sa réponse du 3 avril 1998, M. Jean-Marc Angéloz, rédacteur en chef et directeur de „L’Objectif“, relève que, selon les membres du comité de l’AFJ et en référence à la prise de position du Conseil de la presse du 7 novembre 1996, il s’agit d’établir une séparation stricte entre mandat politique et activité journalistique ; ce qui pourrait signifier, en l’espèce, qu’on ne peut pas être membre d’une association et commenter des événements en relation avec celle-ci. Or M. Angéloz fait valoir le caractère exceptionnel de la mobilisation à Fribourg en faveur de Cardinal. Le rôle de „Point Cardinal“, écrit-il, a été salué unanimement, aussi bien par le Conseil d’Etat, par le Grand Conseil que par la commune de Fribourg; il n’a été critiqué par aucun parti politique. On ne peut donc, conclut M. Angéloz, parler d’engagement politique au sens partisan du terme, mais bien d’engagement pour une cause d’intérêt public. Quant aux liens entre son journal et „Point Cardinal“, M. Angéloz précise qu’ils étaient on ne peut plus clairs: son activité était connue des lecteurs de son journal; on savait que „Point Cardinal“ avait été fondé lors d’une séance publique organisée par „L’Objectif“ et présidée par lui-même; il avait même fonctionné, au début du mouvement, comme unique porte-parole. M. Angéloz ajoute qu’un journal comme le sien revendique le droit de s’engager pour des causes qui relèvent clairement de la défense de l’intérêt public.

F. Dans sa réponse du 22 avril 1998, M. Claude Ayer, rédacteur du „Nouveau Quotidien“, convient avoir participé à „Point Cardinal“, mais il assure que, conscient que cet engagement pouvait poser problème, il a relaté avec rigueur et retenue les activités de l’association. Il souligne notamment qu’il n’a jamais publié d’informations à sa disposition par le canal de cette association „qui ne l’auraient pas été à l’ensemble des médias“. Le fait que les quatre membres du comité de l’AFJ aient signalé, comme indice d’une éventuelle information privilégiée, la publication par „La Liberté“ de trois scénarios de sauvetage de Cardinal (édition du 31 janvier 1997) est commenté en termes critiques par M. Ayer. Celui-ci fait observer, en effet, qu’il a également parlé ce même jour des trois scénarios dans „Le Nouveau Quotidien“, alors que les cloisons étaient „plutôt étanches“ entre le groupe de travail (auquel appartenait M. de Diesbach), les négociateurs et „Point Cardinal“. Cela signifie que cette information était alors disponible pour tout journaliste qui prenait la peine de la rechercher. Enfin, M. Ayer reconnaît avoir participé à „Point Cardinal“, où son rôle essentiel a été, dit-il, la transmission et l’analyse d’information parues dans la presse économique alémanique au profit des collaborateurs de la brasserie, majoritairement présents dans cette association. M. Ayer considère l’affaire Cardinal comme exceptionnelle et conclut que sa „responsabilité de citoyen primera toujours sur celle de journaliste, si tant est que cela est contradictoire“.

G. Dès que la 2e Chambre du Conseil de la presse a eu connaissance de la demande de prise de position adressée par les quatre membres du comité de l’AFJ, Mme Madeleine Joye, membre de la rédaction de „La liberté“, savait qu’il lui appartiendrait de se récuser conformément aux pratiques du Conseil de la presse. La demande de récusation la concernant, présentée par M. Angéloz en date du 13 mars 1998, était donc sans objet. La parution d’une publication de „La Liberté“, postérieure à la demande de prise de position du Conseil de la presse par les membres du comité de l’AFJ, a suscité, d’autre part, une requête formelle de récusation du président de la 2e Chambre, M. Daniel Cornu, par M. Jean-Marc Angéloz, en date du 2 avril 1998. Cette publication, intitulée „Chronique Cardinal. Quand Fribourg se mobilise pour sa brasserie“, réunissait la plupart des articles consacrés à l’affaire par le quotidien, de fin octobre 1996 à fin février 1998. Elle contenait en outre, en postface, divers „points de vue“
de personnalités extérieures à la rédaction sur la manière dont „La Liberté“ avait traité cette affaire. Parmi ces points de vue, l’un était rédigé par M. Daniel Cornu qui, sur la base des articles publiés, considérait que le journal avait réservé à l’affaire un traitement exemplaire, qu’il informait en l’espèce avec rigueur et soutenait toute recherche d’informations camouflées. M. Angéloz y décela aussitôt un parti-pris de principe en faveur de „La Liberté“. Bien que M. Cornu se soit déclaré prêt à se récuser si une telle récusation était dans l’intérêt du Conseil, la demande de M. Angéloz a été rejetée par la présidence du Conseil de la presse, pour deux raisons principales: l’article en question a été rédigé quelque deux mois avant la demande de prise de position adressée par les quatre membres du comité de la AFJ; il ne portait pas sur les objets précis de la plainte (les engagements des journalistes concernés dans des organes impliqués dans l’affaire Cardinal et l’obtention éventuelle d’informations privilégiées).

H. La 2e Chambre du Conseil de la presse a donc traité de la demande des membres du comité de l’AFJ dans ses séances du 6 mai, du 26 juin et du 2 septembre 1998.

II. Considérants

1. Le Conseil de la presse a abordé en d’autres occasions déjà la question des relations entre l’activité journalistique et les circonstances de cette activité, incluant des engagements ou relations de nature politique et économique. D’une manière générale, la question centrale est celle des conflits d’intérêt pouvant surgir entre l’activité du journaliste et d’autres activités, charges ou statuts. Elle concerne le chiffre 2 des devoirs (défendre la liberté de l’information, l’indépendance et la dignité de la profession), le chiffre 8 (ne pas accepter des avantages ou promesses qui limiteraient l’indépendance professionnelle et l’expression de sa propre opinion), ainsi que le chiffre 10 (n’accepter de directives journalistiques que des seuls responsables désignés de sa rédaction).

2. Dans sa prise de position du 26 septembre 1989 (ATG c. RSI), le Conseil de la presse a considéré que les conditions dans lesquelles un acte journalistique est accompli, en vue d’une publication ou d’une diffusion, doivent être rendues transparentes aux yeux du public. Selon un avis du président du Conseil du 13 janvier 1990 ( A. c. RSR), on ne peut reprocher à un journaliste ni à son journal de porter à la connaissance de son public le fruit d’une relation privilégiée. Enfin, dans la prise de position du 7 novembre 1996 mentionnée par les requérants (H. et C. c. „Stadt-Anzeiger Opfikon-Glattburg“), le Conseil de la presse a considéré qu’une séparation stricte doit être observée entre mandat politique et activité journalistique. Il en fait une obligation que devraient s’employer à respecter les médias bénéficiant d’une situation de monopole dans leur région et un but que devrait s’efforcer d’atteindre tout autre média. Le Conseil précise à ce sujet que si des journalistes sont investis d’un mandat politique, „ils doivent respecter certaines règles: information du public au sujet de leur mandat, retenue en cas de ‘forte proximité’, qualification complète de leurs contributions (mandat politique, appartenance à un parti)“.

3. L’examen du rôle joué par les journalistes mis en cause dans l’affaire Cardinal par les membres du comité de l’AFJ conduit à un traitement différencié des cas.

a) M. Antoine Rüf a été délégué de „La Liberté“ auprès du mouvement „Point Cardinal“. Il a certes rendu compte d’une manifestation de ce mouvement, ainsi que d’une conférence de presse et publié diverses informations sur les activités de „Point Cardinal“. Mais rien n’indique qu’il soit sorti d’un rôle d’informateur affecté à ce lieu d’échange et d’information, dont tout autre journaliste pouvait s’approcher, ni qu’il ait bénéficié d’informations privilégiées, ni qu’il ait suivi des consignes de l’association.

b) M. Claude Ayer, lui aussi membre de „Point Cardinal“, a déployé son activité de correspondant fribourgeois du „Nouveau Quotidien“ d’une manière qui atteste un esprit d’initiative, la recherche d’interlocuteurs compétents ou bien placés, mais ne révèle pas non plus l’obtention d’informations privilégiées de la part du mouvement, ni l’obéissance à de quelconques consignes. La seule ambiguïté de la position de M. Ayer tient dans la conclusion de sa prise de position: „ma responsabilité de citoyen primera toujours sur celle de journaliste“.

c) M. Jean-Marc Angéloz revendique son engagement en faveur de „Point Cardinal“ et le rôle qu’il a joué, en sa qualité de rédacteur en chef et de directeur de „L’Objectif“, dans le lancement du mouvement. Il en a pris l’initiative en suggérant la création d’un mouvement de solidarité „Pacte pour Cardinal“ („L’Objectif“ du 15 novembre 1996), puis il a soutenu, à titre personnel et à travers son journal, les activités de „Point Cardinal“. Il a donc joué un rôle actif dans la vie du mouvement et ne s’est pas contenté de rendre compte de ses activités en qualité de journaliste. Il ne prétend pas avoir observé une distance quelconque entre sa qualité d’observateur et sa qualité d’acteur. Il revendique au contraire son engagement en faveur d’une cause qu’il considère „d’intérêt public“.

d) M. Roger de Diesbach a piloté l’ensemble de la couverture rédactionnelle de l’affaire Cardinal par „La Liberté“, en qualité de rédacteur en chef. En outre, il a accepté de faire partie d’un groupe de travail consultatif constitué par les autorités fribourgeoises. Ce groupe n’a, semble-t-il, pas eu d’influence véritable sur l’évolution de la situation ni sur le déroulement des négociations. Mais rien n’indique qu’il était, par définition, destiné à une telle stérilité. Le point sensible est que la constitution de ce groupe devait rester confidentielle, par décision du Conseil d’Etat. M. de Diesbach affirme, dans sa prise de position, que des collaborateurs de „La Liberté“ suivant l’affaire Cardinal avaient été mis au courant de sa participation à ce groupe de travail. Cela n’a cependant pas été le cas des lecteurs de „La Liberté“, même après la diffusion d’une information de la Radio suisse romande et la publication d’une dépêche détaillée de l’ATS.

4. Le rôle joué par MM. Antoine Rüf et Claude Ayer et le traitement journalistique qu’ils ont réservé à l’affaire Cardinal ne permettent pas de déceler des violations des chiffres 2, 8 et 10 des devoirs du/de la journaliste. Quel que soit le degré de leurs convictions personnelles dans la nécessité de sauver Cardinal et de sauvegarder des emplois à Fribourg, ils ont travaillé conformément aux pratiques professionnelles en rendant compte des événements, en favorisant les contacts avec des sources (dont „Point Cardinal“), en faisant parler les acteurs. Il est cependant regrettable que l’état exact de leurs relations avec „Point Cardinal“ (simple observateur ou membre) n’ait pas fait l’objet de précisions explicites à l’intention des lecteurs. Il convient, en outre, de noter que la prise de position de M. Ayer sur les relations entre sa responsabilité de citoyen et sa responsabilité de journaliste reste problématique. Ces responsabilités peuvent être, dans certaines circonstances, contradictoires : la responsabilité citoyenne conduit à donner la préférence à l’efficacité politique tandis que la responsabilité journalistique privilégie la recherche de la vérité (chiffre 1 de la déclaration des devoirs).

5. En qualité d’initiateur et de soutien de „Point Cardinal“, M. Jean-Marc Angéloz a pratiqué un journalisme engagé et l’a présenté comme tel à
ses lecteurs de „L’Objectif“. La conception de la liberté de la presse que défend la Déclaration des devoirs et des droits est, dans une perspective libérale, assez vaste pour tolérer diverses formes de journalisme. La journalisme militant y a sa place, pour autant que le droit du public à connaître les faits (et non seulement les opinions) soit respecté et que soient en particulier satisfaites les exigences du chiffre 3 des devoirs („ne pas supprimer des informations ou des éléments d’information essentiels; ne dénaturer aucun texte, document ou image ; donner très précisément comme telles les nouvelles non confirmées“). On peut noter à ce sujet que „L’Objectif“ a publié le 29 novembre 1996 une longue interview de M. Gérard Stalder, directeur de FHH. Le chiffre 2 des devoirs n’a donc, en l’espèce, pas été violé. Quant au chiffre 8, on peut retenir que M. Angéloz, et plus encore „L’Objectif“, ont pu tirer avantage de l’action déployée en faveur de Cardinal (notoriété, faveur du public, etc.). Mais rien n’indique que cet avantage ait d’aucune façon limité l’indépendance ou l’expression de l’opinion personnelle de M. Angéloz. Enfin, l’application du chiffre 10 est pour partie sans objet, puisque M. Angéloz est lui-même responsable de la rédaction – sous réserve de la conformité de ses pratiques aux dispositions de la Déclaration des devoirs et des droits. En revanche, il n’est pas aisé de distinguer, dans l’action même de M. Angéloz, l’origine de ce qui répond à la définition de „directives journalistiques“. L’étroite connexion entre son rôle de journaliste et son rôle d’acteur (et même de porte-parole de „ Point Cardinal “) serait sans doute incompatible avec une situation de monopole d’information ; elle peut être admise en ce qui concerne un journalisme militant dans un contexte pluraliste, pour autant qu’elle soit clairement connue du public – ce qui était le cas dans cette affaire.

6. L’activité journalistique de M. Roger de Diesbach, en qualité de rédacteur en chef, d’éditorialiste et d’analyste, n’est concernée que dans la mesure où cette activité peut être mise en rapport avec sa participation comme expert au groupe de travail consultatif constitué par les autorités fribourgeoises. La question décisive est de savoir si cette participation lui a valu des informations privilégiées, dont d’autres médias auraient été privés. Rien ne permet de l’affirmer. L’information la plus sensible (les trois scénarios pour sauver Cardinal) est également donnée, le même jour, par M. Claude Ayer, qui a d’autres contacts et d’autres informateurs. A ce titre, ni le chiffre 2, ni le chiffre 8 n’ont été violés. M. de Diesbach aurait-il reçu, d’autre part, des directives journalistiques du groupe de travail ou de certains de ses membres ? Le tour critique de plusieurs articles ou enquêtes publiés dans „La Liberté“ montre que sa participation n’assurait les autorités et autres notables fribourgeoises, d’hier ou d’aujourd’hui, d’aucune complaisance. Dans une situation propre à créer d’éventuels conflits d’intérêt, rien ne prouve que l’information (autrement dit la part journalistique des activités de M. de Diesbach) ait été appelée à souffrir. Le chiffre 10 n’a donc pas été violé. Il reste que l’esprit même de la Déclaration et, en particulier de son préambule, aurait pu faire l’objet d’une attention plus vigilante. Le préambule cumule, en effet, le droit du public à connaître les faits et les opinions et le fait que la responsabilité des journalistes envers ce même public doit primer celle qu’ils assument à l’égard de tiers, pouvoirs publics et employeurs notamment. D’autre part, la déclaration des droits rappelle (lettre a) que le secret des affaires publiques ou privée ne peut être opposé au journaliste que par exception, dûment motivée de cas en cas. Son rôle étant, fondamentalement, de mettre en lumière le fonctionnement des pouvoirs et de porter sur ce fonctionnement un regard critique, la presse peut difficilement considérer la participation de tel ou tel de ses membres à ces mêmes pouvoirs comme compatible avec sa mission. Si des circonstances particulières requièrent la participation d’un/d’une journaliste, celle-ci peut être considérée néanmoins comme acceptable pour autant qu’elle soit rendue transparente aux yeux du public. Ainsi, la participation d’un journaliste à un groupe de travail ou une commission d’experts constitués par les pouvoirs publics devrait faire, dans la règle, l’objet d’une information au public. Un journaliste a donc la liberté d’accepter une mission publique pour autant qu’elle ne risque pas de créer des conflits d’intérêt et – hors de circonstances tout à fait exceptionnelles imposant le secret (menaces pour la sécurité intérieure ou extérieure de l’Etat, par exemple) – pour autant qu’elle soit connue du public. En l’espèce, la publicité était rendue impossible en raison du caractère secret de la composition du groupe de travail, sans que ce secret soit justifié par des circonstances de cet ordre. C’est pourquoi, dans le cas présent, M. de Diesbach aurait dû faire de la publicité de l’existence et de la composition du groupe de travail la condition de son acceptation d’en faire partie ; à défaut de l’obtenir, il aurait dû refuser sa participation. Sa présence au sein du groupe de travail n’a certes pas affecté la manière dont „ La Liberté “ a rendu compte de l’affaire Cardinal ; elle ne semble pas non plus lui avoir valu des informations privilégiées. Mais elle était de nature, par son caractère secret, à jeter un doute dans le public sur l’indépendance du rédacteur en chef, et par conséquent du journal lui-même.

III. Conclusions

1. L’adhésion à un parti ou un mouvement politique n’est pas la seule manière de faire de la politique ni de mener une action citoyenne. Les risques de mélange entre les activités journalistiques et des activités de caractère politique doivent être compris de manière assez large afin d’éviter tout ce qui impliquerait des conflits, des risques ou même la simple apparence de conflits d’intérêt.

2. L’exercice de la profession de journaliste n’est pas, dans la règle, compatible avec l’occupation d’une charge publique, avec l’acceptation d’un mandat public ou encore avec des engagements de caractères privés touchant de près ou de loin les activités professionnelles. Toutefois cette incompatibilité n’est pas absolue. Des circonstances particulières peuvent justifier une participation active d’une/d’une journaliste aux affaires publiques ou la prise en charge d’intérêts privés. Dans ce cas, l’acceptation par un/une journaliste d’un mandat politique et, par extension, de toute autre fonction de caractère public ou privé est soumis à la nécessaire et claire distinction entre les deux sphères d’activité ; en tout état de cause, la participation active d’un/d’une journaliste à un organe, une association ou toute autre forme d’activité qui seraient impliqués, de façon directe ou indirecte, dans le traitement qu’il/elle assure de l’actualité doit être rendue transparente aux yeux du public.