Nr. 2/2004
Indépendance journalistique

(Association des usagers des médias d'Europe c. «Tribune de Genève») Prise de position du Conseil suisse de la presse du 23 janvier 2004

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I. En fait

A. Le 4 juillet 2003 la «Tribune de Genève» a publié un bref article de Laurence Bezaguet sous le titre «L’avocate Radhia Nasraoui dénonce la torture en Tunisie». L’article traite d’une nouvelle initiative contre la torture en Tunisie dont l’avocate a parlé lors d’une passage à Genève.

B. Le 5 juillet et 20 août 2003 l’Association des usagers des médias d’Europe s’est adressé au Conseil de la presse pour se plaindre du fait que l’article du 4 juillet 2003 violait selon elle la prise de position 47/2002 – concernant le même partie – quant à l’obligation déontologique «de rendre transparent au public l’engagement personnel d’un journaliste dans un sujet comme celui concernant certains opposant politiques tunisiens». «A aucun moment», relève-t-elle-notamment, «le lecteur ne sera informé de l’engagement militant de la journaliste rédactrice en faveur de la cause qu’elle promeut dans son article.» En outre la plaignante fait valoir une violation des «principes généraux de l’équité envers le public (…) la journaliste se gardant bien d’évoquer les dépêches de l’Agence France Presse et de l’Associated Press en date des 27 et 28 juin 2003 dans lesquelles il était fait mention de réactions hostiles à l’initiative de Mme Nasraoui, pourtant généreusement rapportée – et de manière unilatérale – par la journaliste».

D. Dans une prise de position datée du 2 septembre 2003 Dominique von Burg, rédacteur en chef de la «Tribune de Genève», soutient que la plainte est dénuée de fondement. Il fait valoir que le devoir de transparence formulée lors de la prise de position 47/2002 «ne peut être appliqué au cas qui nous occupe». En effet, l’article incriminé est factuel et ne contient aucune appréciation personnelle de la part de la journaliste.»

E. Conformément à l’art.10 al. 7 du règlement du Conseil suisse de la presse, la présidence peut se prononcer définitivement sur des plaintes qui, dans leurs traits essentiels, concordent avec des cas déjà traités par le Conseil de la presse ou qui de toute façon paraissent d’une importance mineure.

F. Le 9 septembre 2003 le Conseil suisse de la presse a déclaré la correspondance des parties terminée et a informé ces dernières que la plainte serait traitée par la présidence du Conseil de la presse, composée par Peter Studer (président) et Esther Diener-Morscher (vice-présidente). Daniel Cornu (vice-président et médiateur de la «Tribune de Genève») s’est récusé.

G. Dans un courrier du 16 septembre 2003 adressé au Conseil suisse de la presse, la plaignante a maintenu sa position.

H. Le 13 janvier 2004 le Conseil suisse de la presse a informé les parties que dès le 1er janvier 2004 Daniel Cornu avait été remplacé par Sylvie Arsever (vice-présidente).

I. La présidence du Conseil suisse de la presse a adopté la présente prise de position le 23 janvier 2004 par voie de correspondance.

II. Considérants

1. La plainte se réfère au chiffre 2 (indépendance) et au premier alinéa (principes généraux de l’équité») de la «Déclaration des Devoirs du / de la journaliste». Selon la plaignante, l’article du 4 juillet 2003 aurait dû faire état de l’engagement personnel de la journaliste dans la lutte contre la torture en Tunisie (voir chiffre 2 des considérants ci-dessus) et d’un communiqué de presse d’une «Association tunisienne pour les victimes du terrorisme» repris par Agence France Presse et Associated Presse les 27 et 28 juin 2003 (voir chiffre 3 des considérants ci-dessous).

2. Dans sa prise de position 47/2002 le Conseil suisse de la presse a constaté que «la plaignante s’appuie entre autres sur le fait que Laurence Bezaguet a écrit 13 articles en trois ans sur le thème des droits de l’homme en Tunisie pour dénoncer son militantisme et des entorses au devoir d’indépendance. Ce reproche est infondé, car on peut considérer qu’il s’agit d’un besoin de suivi de l’actualité et d’information dans un domaine que la ÐTribune de Genèveð n’est pas la seule à trouver critique.» Concernant l’aspect de l’indépendance journalistique en général et de l’engagement politique des journalistes en particulier le Conseil a estimé que dans le cas de Laurence Bezaguet, «il n’est pas question d’avantages financiers ou autres. La ÐDéclaration des devoirs et des droits du / de la journalisteð n’a donc pas été violée. Mais il aurait été quand même souhaitable de rendre transparents aux yeux du public les engagements personnels de la journaliste». La prise de position 47/2002 a donc explicitement nié un obligation déontologique de la «Tribune de Genève» de faire état de l’engagement personnelle de la journalistes dans les treize articles soumises par l’Association des usagers des médias d’Europe. Dès lors on voit mal le Conseil suisse de la presse formuler une telle obligation quant à l’article du 4 juillet 2003 où un conflit d’intérêt est loin d’être manifeste ou étayé par la plaignante.

3. Il ne découle de la «Déclaration» aucune obligation à rendre compte de manière objective et, dès lors, une relation unilatérale est admissible de la part d’un média (prises de position 27/2003, 47/2002, 32/2002, 17/2000, 27/2000). Concernant la reproduction des communiqués de presse le Conseil a statué constamment que la sélection des informations – y compris des communiqués – constitue un partie essentielle du travail journalistique. Dès lors, il n’existe pas d’obligation de publier des communiqués de presse (prises de position 11/1998, 7/2000, 26/2000, 33/20000). La «Tribune de Genève» pouvait donc choisir librement de reprendre ou non le communiqué de l«Association tunisienne pour les victimes du terrorisme» ou les dépêches d’agences y relatives.

III. Conclusion

La plainte est rejetée.