Nr. 72/2012
Dénaturation d’informations

(Kessler c. «Le Matin») Prise de position du Conseil suisse de la presse du 9 novembre 2012

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Zusammenfassung

Entstellender Titel
Darf ein satirischer Beitrag die Fakten entstellen? Nein, sagt der Presserat. Zumindest der Aussagekern einer Satire muss wahr und die Satire als Absicht für das Publikum erkennbar sein.

«Le Matin» titelte in einem kurzen Text über den Tierschützer Erwin Kessler: «Er will die Botox-Bakterien retten». Der Autor bezog sich darin auf ein kürzlich ergangenes Bundesgerichtsurteil, welches eine Urteil gegen Kessler wegen Ehrverletzung der Tagesschausprecherin Katja Stauber bestätigte. Der Tierschützer beschwerte sich beim Presserat, «Le Matin» unterschlage, dass die Produktion von Botox von grausamen Vergiftungsversuchen an Versuchstieren begleitet werde und es sein nie die Rede davon gewesen, die Botox-Bakterien zu schützen. Die Zeitung erwidert, die verkürzende Darstellung der Fakten sei in einem satirischen Beitrag zulässig.

Der Presserat erinnert in seiner Stellungnahme daran, dass die berufsethischen Normen auch für satirische Beiträge gelten. Das Publikum muss in die Lage versetzt werden, zwischen Fakten und Wertungen zu unterscheiden. Zudem muss die Satire auf einem wahren Tatsachenkern beruhen. Der beanstandete Titel erfülle diese Voraussetzung nicht. Zudem erlaube der Kontext der Publikation der Leserschaft nicht ohne Weiteres – der Text erschien auf der Leitartikelseite – die satirische Absicht zu erkennen.

Résumé

Titre trompeur
Une contribution satirique peut-elle déformer les faits? Non, dit le Conseil suisse de la presse. Le noyau du message d’une satire, à tout le moins, doit être vrai et la satire doit être reconnaissable comme telle par le public.

«Le Matin» titre ainsi un texte bref consacré au protecteur des animaux Erwin Kessler: «Il veut sauver les bactéries du «Botox». L’auteur se référe à un récent arrêt du Tribunal fédéral confirmant le jugement contre Kessler pour atteinte à l’honneur de la modératrice de la «Tagesschau» Katja Stauber. Le protecteur des animaux saisit le Conseil de la presse de ce que «Le Matin» taisait le fait que la production de Botox s’accompagnait de cruelles tentatives d’empoisonnement sur des animaux. Le journal réplique qu’un raccourci des faits est admissible dans le cadre d’un texte satirique.

Dans sa prise de position, le Conseil de la presse rappelle que les normes de la déontologie s’appliquent aussi aux contributions satiriques. Le public doit être en mesure de pouvoir distinguer entre les faits et les appréciations. En outre, la satire doit se fonder sur un noyau de faits avérés. Le titre contesté ne remplit pas cette condition. Enfin, le contexte de la publication ne permet pas sans autre au public de reconnaître l’intention satirique.

Riassunto

Un titolo fuorviante
È concesso alla satira distorcere i fatti? No, dice il Consiglio della stampa. Almeno le circostanze alla base della presa in giro devono essere vere e l’intenzione satirica dev‘essere evidente.

Il titolo di «Le Matin» sopra un breve articolo riguardante l’animalista Erwin Kessler suonava: «Vuole salvare i batteri del Botox». L’autore si riferiva a una recente sentenza del Tribunale federale, che aveva confermato una condanna del Kessler per offesa all’onore di Katja Stauber, una presentatrice del Telegiornale. Lo stesso Kessler rimprovera a «Le Matin» – rivolgendosi al Consiglio della stampa – di aver trascurato di segnalare che la produzione del Botox è accompagnata da effetti tossici sulle cavie da laboratorio. Il giornale replica che l’articolo aveva carattere satirico e che poteva limitarsi a una breve evocazione del caso. <

Il Consiglio della stampa ricorda che le regole deontologiche valgono anche per la satira. Il pubblico dev’essere messo in grado di distinguere tra fatti e giudizi di valore. La satira dev’essere inoltre fondata su un fatti veri. Il titolo contestato non rispetta queste condizioni. Il contesto stesso della notizia non era tale da segnalarne chiaramente al pubblico l’intento satirico.

I. En fait

A. Dans son édition du 20 juillet 2012, «Le Matin» fait paraître dans la rubrique «Les 3 qui font l’actu» un court article signé Laszlo Molnar et consacré à Erwin Kessler, «ingénieur et défenseur des animaux». Revenant sur un arrêt du Tribunal fédéral, l’article – titré «Il veut sauver les bactéries du Botox» – rapporte qu’Erwin Kessler s’est vu reprocher par la cour suprême d’«inutiles et blessantes attaques» contre une journaliste de la TV alémanique coupable à ses yeux d’avoir présenté une émission sur le homard et le foie gras.

L’article se poursuit en rapportant d’autres déclarations d’Erwin Kessler, qualifiées d’«étranges. Notamment quand il dit que l’usage du Botox repose sur la maltraitance des bêtes». Laszlo Molnar se demande alors si ces propos visent les «bactéries à l’origine de cette substance» qui seraient donc maltraitées. L’auteur de l’article conclut qu’il s’agit là d’un «nouveau dérapage» commis par ce défenseur des animaux qui a déjà comparé «les juifs aux nazis pour l’abattage rituel des poulets».

B. Ce même jour, Erwin Kessler, par ailleurs président de l’Association contre les usines d’animaux saisit le Conseil suisse de la presse. Il estime que l’auteur de l’article a violé le chiffre 3 de la «Déclaration des droits et devoirs du/de la journaliste («ne pas supprimer des informations ou des éléments d’information essentiels; ne pas dénaturer l’opinion d’autrui»). En laissant entendre que les attaques de l’association contre l’usage du Botox visaient les bactéries dont ce produit est issu, l’auteur de l’article a sciemment trompé le public. L’auteur ne pouvait en effet ignorer que les reproches faits à l’usage du Botox visent plutôt les mauvais traitements subis par les animaux lors des tests de toxicité de ce produit.

C. Dans sa réponse à l’interpellation du CSP, la rédactrice en chef Sandra Jean admet que l’intention de ce court article n’était pas de donner une information complète sur les conditions de fabrication du Botox. Il s’agissait plutôt de prendre au mot Erwin Kessler, de créer un «effet de causalité cru» – non dépourvu d’ironie – à partir de ses déclarations, comme ce fut le cas lors de précédentes prises de position du plaignant, notamment sur les rituels d’abattage pratiqués par les juifs. Cet effet d’ironie, écrit Sandra Jean, n’a pas échappé au public qui n’est par conséquent pas trompé. Elle conclut qu’admettre la plainte d’Erwin Kessler reviendrait à empêcher tout usage de l’ironie dans les articles politiques et demande au conseil de rejeter la plainte.

D.  La plainte est traitée le 9 novembre 2012 ainsi que par correspondance par la deuxième Chambre du Conseil suisse de la presse, composée de Dominique von Burg (président), Michel Bührer, Annik Dubied, Pascal Fleury, Anne Seydoux, Françoise Weilhammer et Michel Zendali.

II. Considérants

1. Comme le Conseil de la presse l’a rappelé à plus d’une occasion, les normes déontologiques valent aussi pour les sujets satiriques ou la caricature auxquels les journalistes ont naturellement accès. Ainsi le public doit pouvoir «faire la distinction entre les faits et les appréciations relevant du commentaire ou de la critique» (prise de position 10/2000). Autrement dit, le contexte ironique ou critique doit être
clairement perceptible par le public. Par ailleurs, le noyau de l’affirmation ne doit pas être manifestement faux et ne doit pas atteindre à la dignité de la personne concernée (prise de position 9/2004).

2. Dans l’article dont il est question ici, le journaliste prend en quelque sorte au mot la déclaration du plaignant et la pousse à l’absurde, lui prêtant une intention qu’évidemment elle n’avait pas. Quand, rapportant les propos d’Erwin Kessler, Laszlo Molnar parle des mauvais traitements supposés infligés aux animaux, il sait qu’il ne s’agit pas des bactéries servant à fabriquer le Botox. L’auteur fait mine de comprendre les propos de M. Kessler au premier degré. S’il y a donc bel et bien dénaturation d’informations, plaide la rédaction, c’est au nom du procédé d’ironie lui-même qui suppose le grossissement, la caricature du propos dont on se moque. La liberté de critiquer primerait donc ici sur le respect à la lettre des principes de la «Déclaration» à son chiffre 3.

Peu convaincu par la clarté du procédé, la majorité de la Chambre rappelle en revanche, qu’un article critique ou ironique doit au minimum reposer sur des faits vrais. Sous cet angle au moins le titre du commentaire («Il veut sauver les bactéries du Botox») viole le chiffre 3 de la «Déclaration». L’énoncé du titre est erroné et affirmatif. De plus, le contexte de la page, qui regroupe des éditoriaux, ne permet pas au lecteur de reconnaître une intention satirique.

III. Conclusions

1. La plainte est admise.

2. En titrant «Il veut sauver les bactéries du Botox», «Le Matin» (édition du 20 juillet 2012) a violé le chiffre 3 de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste» (ne pas dénaturer l’opinion d’autrui).