Nr. 28/2004
Annonces politiques

(Licra c. «Tribune de Genève» / «24 Heures») Prise de position du Conseil suisse de la presse du 27 mai 2004

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I. En fait

A. Le 10 et 16 octobre 2003 la «Tribune de Genève» et «24 Heures» ont publié une annonce d’une page de l’Union démocratique du Centre (UDC) dans laquelle l’UDC se présentait comme la seule force politique qui protège la population au lieu de chouchouter les criminels étrangers. L’UDC argumentait: «La criminalité a massivement augmenté ces dernières années. Surtout les délits graves comme les assassinats, les viols et les blessures corporelles. Les menaces, les bagarres et les vols font partie du quotidien. Certain groupes ethniques dominent la statistique criminelle. Le trafic des drogues est contrôlé par des Albanais et des Noirs africain. Des requérants d’asile abusent sans gêne aucune de l’hospitalité suisse. Pendant ce temps, des médias de gauche et des politiciens lâches et irresponsables minimisent ces faits. Ce n’est pas notre cas. L’UDC, elle, appelle les problèmes par leur nom.»

B. Le 28 octobre 2003 la section Suisse de la Ligue Internationale contre le racisme et l’Antisémitisme (Licra) s’est adressé au Conseil suisse de la presse. Elle estimait que de «telles annonces xénophobes et qui incitent ouvertement à la haine contre des groupes de personnes en raison de leur appartenance ethnique» contrevenaient à l’art. 261bis du Code pénale. «Dès lors, nous nous permettons de vous soumettre le problème que posent manifestement de telles publication véhiculées par les médias. Nous sommes conscients que les annonces de l’UDC ne reflètent pas forcément l’opinion de ces journaux, mais nous nous interrogeons néanmoins quant à l’impact qu’elles peuvent avoir sur leurs lecteurs.»

C. Par courrier du 4 novembre 2003 le secrétaire du Conseil suisse de la presse a signalé à la Licra «que la compétence du Conseil suisse de la presse se limite par principe à la partie rédactionnelle des médias. Tout en relevant que, dans sa prise de position 10/98, il s’était prononcé au sujet de la «Coresponsabilité rédactionnelle en rapport avec des annonces de nature politique», il concluait: «je verrais mal que le Conseil se saisisse de lui-même de nouveau d’un thème analogue. Il demeure que vous êtes libre de porter plainte dans le sens de l’article 6 alinéa 2 de notre règlement.»

D. Par courrier du 20 janvier et 2 février 2004 la Licra a confirmé porter plainte contre les annonces de l’UDC parues dans les colonnes des journaux «24 Heures» et «la Tribune de Genève». «Nous sommes conscients qu’il s’agit là d’annonces et non d’articles signés par un journaliste. Toutefois, il n’en demeure pas moins qu’un journal est aussi le reflet d’une rédaction qui devrait veiller aux annonces et publicités publiées dans ses colonnes. Or il s’avère que les annonces de l’UDC sont une transgression des chiffres 1, 5 et 8 de la ÐDéclaration des devoirs et droits du/de la journaliste? (…) La Licra insiste par ailleurs sur le fait que les journalistes devraient prendre garde au risque de propager toute idée discriminatoire, qu’elle soit raciale, sexuelle, religieuse ou encore sociale.»

E. Le 23 octobre 2003, les rédactions de «La Tribune de Genève» et de «24 Heures» se sont prononcées dans une réplique commune. Elles concluent à l’irrecevabilité de la plainte faute d’applicabilité de la «Déclaration» à des annonces et éventuellement au rejet de la plainte quant au fond.

F. La plainte a été confiée à la 2ème chambre du Conseil de la Presse, composée de Mme Nadia Braendle et de MM Pascal Fleury, Jean-Pierre Graber, Charles Ridoré et Michel Zendali. Mme Sylvie Arsever (présidente de la 2ème chambre et membre de la rédaction en chef du «Temps», qui a également diffusé l’annonce litigieuse) et M. Dominique von Burg (rédacteur en chef de la «Tribune de Genève») se sont récusés.

G. La plainte a été examinée lors de la séances du 27 mai 2004 et par voie de correspondance.

II. Considérants

1. a) En vertu de l’art. 1 al. 2. du règlement du Conseil suisse de la presse, celui-ci se prononce sur les questions d’éthique professionnelle relatives à la profession de journaliste. Selon l’alinéa 4 du même article, la compétence du Conseil de la presse s’étend à la partie rédactionnelle et aux questions d’éthique qui s’y rapportent. La «Déclaration» fait uniquement mention des journalistes. Il n’est pas question des éditeurs, de leurs collaboratrices et de leurs collaborateurs. Dans sa prise de position du 21 décembre 1993 relative à l’affaire «Bonus» / «Tages-Anzeiger» (8/93) le Conseil de la presse s’est déclaré incompétent. Le litige portait sur le refus de diffuser un encart qui se fondait sur un article contesté. Faisant valoir que la liberté d’expression et de commentaire n’était pas principalement en cause, le Conseil de la presse avait estimé qu’il s’agissait pour l’essentiel d’une problématique de l’éditeur. De même, le Conseil de la presse, dans sa prise de position 10/1998 (coresponsabilité rédactionnelle concernant les annonces politiques) a réaffirmé la limitation de sa sphère d’intervention au comportement des journalistes et des rédactions. Enfin, dans sa prise de position 36//2001 le conseil suisse de la presse n’est pas entrée en matière sur une plainte concernant le comportement d’un éditeur.

b) Dans sa prise de position précitée 10/98 le Conseil a relevé qu’il y a de bonnes raison pour la séparation entre la partie rédactionnelle et la publicité. En effet, la décision formelle sur la publication des annonces – y compris des annonces politiques – relève des éditeurs. Le Conseil de la presse a toutefois exprimé le souhait que les rédactions en chefs soient au moins consultées avant la publication d’annonces politiques délicates. Il a en outre estimé souhaitable que les rédactions traitent dans la partie rédactionnelle des annonces qui influencent les discours politique de manière particulièrement flagrante et unilatérale. Il juge enfin de leur devoir d’informer le public lorsque des annonces émettent des assertions choquantes ou des contrevérités.

2. Conformément à sa pratique consistant à ne pas se prononcer sur le comportement des éditeurs, le Conseil de la presse n’entre pas en matière dans la mesure où la plainte de la Licra fait valoir que la publication de l’annonce de l’UDC contrevenait aux chiffres 1, 5 et 8 de la «Déclaration». L’applicabilité des normes déontologiques des journalistes se limitant à la partie rédactionnelle, il n’entre pas dans la compétence du Conseil de la presse de dire si l’annonce de l’UDC contenait des contrevérités et / ou avait un caractère discriminatoire.

3. Les rédactions de certains quotidiens qui ont diffusé cette annonce, notamment celles de la «Liberté» et du «Temps», ont accompagné sa parution d’un traitement rédactionnel critique. Une telle façon de faire correspond au souhait exprimé par le Conseil de la presse dans sa prise de position 10/98. Selon cette prise de position, un traitement rédactionnel devient indispensable si une annonce contient des attaques manifestement diffamatoires ou contraires à la dignité humaine. Dans le cas précis, toutefois, cette condition n’était par remplie et dès lors un traitement rédactionnel parallèle par la «Tribune de Genève» et par «24 Heures» n’était pas indispensable.

III. Conclusion

La plainte est rejetée dans la mesure où le Conseil suisse de la presse entre en matière.