Nr. 12/2021
Recherche de la vérité / Dignité humaine / Protection des enfants

(X. c. «20 minutes»)

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I. En fait

A. Le 13 novembre 2019, «20 minutes» publie un article signé Xavier Fernandez et intitulé «Un slide sur une rambarde coûte la vie à un skateur». Il relate un accident tragique dans lequel un skateur de 40 ans a perdu la vie. Selon la police, citée par l’article, «il est tombé en voulant faire un slide sur une rambarde». L’article précise que plusieurs jeunes ont assisté à l’accident, et il cite ainsi un de ces témoins: «Il ne portait pas de casque et s’est blessé au front. Ensuite, il s’est mis à convulser. Pour finir, il est devenu tout bleu. Lorsque les secours sont arrivés, ils ont tenté de le réanimer, mais c’était déjà trop tard. Mine de rien, c’est important de porter un casque.» L’article cite encore un responsable communal selon lequel l’installation était aux normes et que les conditions d’utilisations avaient été respectées. «20 minutes» donne enfin quelques précisions statistiques concernant les incidents mortels dans la pratique d’un sport et précise que l’accident en question représente le premier accident mortel dans un skate-park suisse en 20 ans.

B. Agissant en son nom et en celui de la famille endeuillée, X. saisit le Conseil suisse de la presse le 2 février 2020. Il estime que «20 minutes» a violé les chiffres 8 (dignité), 1 (rechercher la vérité) et 7 (protection de la personnalité) de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste» (ci-après «Déclaration»).

Pour le plaignant, certains détails rapportés par le journal vont à l’encontre du chiffre 8.3 des directives relatives à la «Déclaration», qui stipule: «Les auteurs de comptes rendus et reportages sur des événements dramatiques ou des actes de violence devront toujours peser avec soin le droit du public à être informé et les intérêts des victimes et des personnes concernées. Le/la journaliste proscrit toute présentation de caractère sensationnel, dans laquelle la personne humaine est dégradée au rang d’objet. C’est en particulier le cas de mourants, ( …).»

Concernant la recherche de la vérité, le plaignant cite une lettre de la police cantonale à la famille du décédé, qui dit notamment ceci: «Quant à la communication de cet événement aux médias, le service de presse de la Police cantonale s’est contenté de confirmer l’accident mortel qui s’est produit au skate parc. Les informations figurant dans l’article de 20 Minutes selon lesquelles ‹il serait tombé en voulant faire un slide sur une rambarde› et le fait ‹qu’il ne portait pas de casque› ne viennent pas de la Police cantonale.» Par ailleurs le plaignant estime que l’article ne laisse aucun doute sur la cause de l’accident, alors même qu’une enquête était en cours pour déterminer notamment si un malaise cardiaque ou autre n’aurait pas précédé la chute, enquête que le journal aurait dû mentionner.

Pour ce qui est enfin du chiffre 7, le plaignant se réfère en particulier à la directive 7.3 (protection particulière des enfants), faisant valoir qu’un des enfants de six ans de la victime doit faire face à «des remarques incessantes de ses camarades d’école».

C. Le rédacteur en chef de «20 minutes», Philippe Favre, prend position par courrier du 29 juin 2020, et demande le rejet de la plainte.

Concernant les violations alléguées du chiffre 1 de la «Déclaration», le rédacteur en chef conteste formellement que l’information selon laquelle la victime aurait effectué un slide sur la rambarde ne provenait pas de la police. En effet, sitôt l’accident connu par l’entremise d’un «lecteur reporter», le journaliste s’est entretenu avec un agent de la police cantonale qui l’a informé de cette circonstance. De plus, comme en témoigne la dépêche ATS reprise par d’autres journaux, cette explication a bel et bien été confirmée par la police cantonale. Pour ce qui est de l’information selon laquelle la victime ne portait pas de casque, le rédacteur en chef affirme que le journaliste a fait des recoupements et qu’elle a été confirmée par plusieurs témoins. Enfin, concernant l’éventualité d’un malaise qui aurait précédé la chute, Philippe Favre fait valoir que l’article n’exclut pas cette possibilité, mais que le journaliste s’est contenté de rendre compte factuellement des circonstances du drame.

Concernant les violations alléguées du chiffre 8 de la «Déclaration», le rédacteur en chef de «20 minutes» fait d’abord remarquer que l’impact d’un texte est moindre que celui d’une image. Puis il rappelle qu’il ressort de la jurisprudence du Conseil de la presse que toute présentation de faits susceptibles de heurter n’est pas a priori exclue, une balance devant être faite entre l’intérêt du public à être informé et l’intérêt de la victime à être protégée. Dans le cas d’espèce, ajoute Philippe Favre: «Le récit de l’accident avait une mission purement informative et préventive dans la mesure où il traite d’un sujet sociétal important, à savoir les risques inhérents à des activités sportives pour lesquelles le port de certains équipements comme le casque est constamment recommandé.»

Enfin, selon le rédacteur en chef de «20 minutes», la directive 7.3 ne s’applique pas. En effet, «les enfants du défunt ne sont pas compris comme étant des ‹victimes› au sens de cette directive». Si c’était le cas, fait-il remarquer, tout compte rendu relatif au décès d’une personne laissant derrière elle des enfants serait impossible.

D. Selon l’art. 13 alinéa 1 du règlement du Conseil suisse la presse, la présidence traite les plaintes qui, dans leurs éléments essentiels, concordent avec des cas déjà traités par le Conseil de la presse ou qui revêtent une importance mineure.

E. La présidence du Conseil suisse de la presse, composée de Dominique von Burg (président), Casper Selg et Max Trossmann (vice-présidents), a traité la présente prise de position le 31 mars 2021 par voie de correspondance.

II. Considérants

1. Bien que le plaignant indique que sa plainte est également dirigée contre «20 Minuten», le Conseil de la presse constate que cet aspect n’est en rien substantifié. De plus, le très bref article du pendant alémanique de «20 minutes» est entièrement basé sur les recherches de «20 minutes». Le Conseil de la presse ne prend donc en considération que la plainte contre «20 minutes».

2. Trois manquements au devoir de rechercher la vérité sont allégués.

L’affirmation «il est tombé en voulant faire un slide sur une rambarde» est attribué par «20 minutes» à une source policière. Faux, affirme le plaignant, s’appuyant sur un courrier du chef de la police à la famille. Vrai affirme au contraire «20 minutes», expliquant que cette explication a été donnée oralement par un agent de la police cantonale, même si elle n’a été reprise dans le communiqué de presse officielle. D’ailleurs, l’Agence télégraphique suisse (ATS), citée par d’autres journaux, fait état de la confirmation de la police. Ces éléments amènent le Conseil de la presse à accréditer la version donnée par le journal.

La victime portait-elle un casque? Selon le plaignant, cette affirmation ne repose sur les dires que d’un seul témoin, par ailleurs peu crédible. Le journal en revanche affirme que plusieurs témoins ont confirmé ce fait. En l’état, le Conseil de la presse n’a aucun élément qui permettrait de mettre en doute l’affirmation du journal.

Pour ce qui est enfin de la possibilité que la chute ait été provoquée plutôt par un accident cardiaque ou autre, il est vrai que le journal ne le mentionne pas. Mais l’article ne l’exclut pas non plus. Le fait que l’enquête consécutive au drame – une procédure par ailleurs routinière – ne soit pas mentionnée n’a pas le poids d’une violation aux yeux du Conseil de la presse.

Au total donc, «20 minutes» n’a pas violé le chiffre 1 (vérité) de la «Déclaration».

3. En donnant des détails de l’accident qui pourraient choquer, «20 minutes» a-t-il cédé à la tentative de faire du sensationnalisme en donnant une image dégradante de la victime? La question peut être discutée, mais le Conseil de la presse estime que les éléments donnés dans l’article restent dans les limites de l’admissible. De plus et surtout, l’aspect préventif de cette information, tel que relevé par le rédacteur en chef, paraît évident au Conseil de la presse et l’emporte dans la pesée des intérêts.

4. Pour ce qui est enfin de la violation alléguée du chiffre 7 de la «Déclaration» et de la protection particulière à apporter aux enfants, le Conseil de la presse ne peut que suivre le raisonnement de la prise de position de «20 minutes». On ne saurait en effet proscrire tout compte rendu d’un fait divers tragique sous prétexte que la victime a des enfants qui en seront affectés. A condition évidemment que le journal veille à ne pas identifier la victime, ce que le journal a respecté en l’occurrence.

III. Conclusions

1. La plainte est rejetée.

2. En publiant l’article «Un slide sur une rambarde coûte la vie à un skateur», «20 minutes» n’a pas violé les chiffres 1, 3 et 7 de la «Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste».